Langues & Cultures
Volume 4, Numéro 1, Pages 358-368
2023-06-15

Flaubert: Ecrire C'est Se Souvenir

Auteurs : Soussou Moulay Youssef .

Résumé

Ecrire, c’est se souvenir. Ce sont les souvenirs, les souvenirs d’enfance, de voyages qui donnent naissance à l’écriture. C’est de ses souvenirs d’enfance ou de voyage que Gustave Flaubert a créé son personnel romanesque particulièrement féminin. Son premier écrit de jeunesse, Mémoires d’un fou, se nourrit de son souvenir de Marie, une jeune fille qu’il a aimée. Les spécialistes de l’écrivain rapprochent ce récit autobiographique à ses deux romans majeurs de sa période de maturité : Madame Bovary et L’Education sentimentale. En outre, le souvenir inoubliable de Flaubert et qui contribuera à la composition de ses deux chefs-d’œuvre, c’est cette femme que le jeune Flaubert rencontre sur la plage, Elisa Schlesinger, plus ainée que lui et qui était l’épouse d’un célèbre éditeur de Musique. Cette femme réelle et ancrée dans la mémoire de Flaubert deviendra plus tard Marie Arnoux, l’héroïne de L’Education sentimentale que Frédéric Moreau rencontre au début de roman et revoit en épilogue quand les deux atteignent leur vieillesse. Même Emma Bovary s’appelle Marie dans les brouillons du premier chapitre de Madame Bovary. Il y a d’autre femmes que Flaubert a contactées avant son voyage en orient et qui nourrissent la conception de ses personnages, grandes figures de la littérature française. D’autres personnages, notamment Salammbô, Hérodias et Salomé sont advenus à Flaubert à partir de ses voyages en Orient. Saisi d’une illusion rétrospective, dans un grand élan de nostalgie primitiviste, le voyageur retrouve sans cesse ce qu’il a déjà rencontré dans les livres ou vu sur les tableaux : le moindre kebab devient repas homérique, la moindre jeune fille devient Salomé, le moindre berger est Tityre ou Mélibée. Quand Flaubert rencontre Ruchiuk-Hanem (cette almée égyptienne qui, par son art chorégraphique, a fortement influencé son esthétique et son style), Flaubert se souvient des autres femmes françaises, et quand il a peur en couchant avec elle, il se souvient de figures bibliques, Judith décapitant Holopherne. Flaubert retrouve dans la terre orientale les figures réelles des personnages antiques ou religieux qu’il a découverts jadis dans les livres. Le voyage a étouffé ses horizons, brûlé ses humeurs, ses illusions sur les grands sujets sont tombées au contact de leur décor. Avant le voyage, il ne donnait pas grande place au style, à la forme, sa vie a été agitée par des rêves, des désirs. Après le voyage, il s’est résigné, calmé, l’illusion change de place. Baudelaire révèle une telle idée dans son poème « le voyage » : « Que le monde est grand à la clarté des lampes/Aux yeux des souvenirs que le monde est petit ». Le voyage en Orient était en effet le lieu d’une vision binoculaire faite de ces deux éléments, l’Orient qu’il voyait et la Normandie qu’il rêvait (comme il avait rêvé l’Orient en Normandie) et Madame Bovary s’élaborait dans son inconscient quand il voit dans les êtres de l’Orient « le sentiment de la fatalité qui les remplit » et le secret de l’Orient était pour lui « un immense ennui qui dévore tout ». Nous étudions dans cet article la manière avec laquelle le souvenir, et particulièrement le souvenir dans le voyage permet de refroidir l’émotion du souvenir, de rendre le regard plus objectif. Cela nous amènera à révéler comment Flaubert parvient à écrire de manière plus précise et plus claire en se distanciant de ses visions rétrospectives, de ses réminiscences et de ses illusions. Le souvenir lui permet de substituer aux rêves l’écriture et aux songes le style.

Mots clés

Ecriture, souvenir, Flaubert, voyage en orient, personnage, vision binoculaire.