Didactiques
Volume 5, Numéro 2, Pages 49-69
2016-12-31

Sémiotique Et Apprentissage De L’écriture : Une Dialectisation Entre Création Et Raison

Auteurs : Morizot Dominique .

Résumé

Abstract: As a science of meaning and signifying practices, semiotics, as it is taught, confines itself to the analysis of signifying forms taken from the social field, circumscribed and constituted into a corpus. In general, and probably more particularly when it comes to language, whether written or spoken, the signifying forms produced by learners, precisely as subjects of language, are rarely understood as being likely to be the subject of an investigation that is capable of calling up semiotic knowledge. It is true that, in the social field, on the "side" of the subject, and if we change our perspective, we can easily observe that the semiotic cut-off point is an absent knowledge that is difficult to share. This makes it all the more difficult for the subjects who use it to distance themselves from their own enunciation. And for good reason: since speech implies a simultaneity between the enunciator and the signifier he produces, it can only take place if there is punctual and repeated repression of such distancing. And culture is needed for Barthes' assertion that there is a "necessity for man to think his language at the very moment he speaks" to hold. It is a different matter with the process of writing: a distancing necessarily takes place between the subject of enunciation and the signifier it produces, so much so that the subject's relationship to its writing is likely to be an opportunity for it to implement semiotic reflection. Even before any reflection, this relationship is capable of constituting an experience of the materiality of the signifier, such that it is a matter of both poetics and aesthetics. As for the intelligibility of this relationship, it is likely to enrich the reflection on the conditions of possibility of the recognition and appropriation of the sign by the subject. It concerns teaching from the moment it sets itself the task of enabling learners to establish themselves as authors, themselves inscribed in the social field, by teaching them to define and measure their dimension as enunciator and recipient. It concerns semiology from the moment when it is not satisfied with thinking about a language without a subject and when it assumes a role that has yet to be invested: that of taking charge of the articulation of the singular dimension of symbolic exchanges and the collective dimension of language, and of making the people we teach work on it, in their very use of language. If the collective dimension of language refers to language as an institution structured by norms, law and reason, the singular dimension of symbolic exchanges refers to the part of creation and play that language carries, and which allows it to give material to art. However, limiting the question of creativity to writing practices that are solely literary in nature runs various risks that a meta-writing process is capable of eliminating. A meta-writing, in other words, a writing that gives reason for itself, making it possible to think the various experiences of writing and to account for the rationality in which they are inscribed. Meta-writing would constitute a critical reason for writing, in its three dimensions: linguistic, impulsive and political. Résumé : Science de la signification et des pratiques signifiantes, la sémiotique, telle qu’elle est enseignée, s’en tient à l’analyse de formes signifiantes prélevées dans le champ social, circonscrites et constituées en corpus. De manière générale, et sans doute plus particulièrement lorsqu’il s’agit de langage, que celui-ci soit écrit ou parlé, les formes signifiantes produites par les apprenants, en tant précisément que sujets de langage, sont rarement appréhendées comme étant susceptibles de faire l’objet d’une investigation propre à convoquer un savoir sémiotique. Il est vrai que, dans le champ social, du “côté” du sujet, et si l’on change de perspective, on observe aisément que la coupure sémiotique relève d’un savoir absent, difficile à partager. La mise à distance de leur propre énonciation par les sujets qui la mettent en œuvre en est rendue d’autant plus difficile. Et pour cause : la parole impliquant une simultanéité entre l’énonciateur et le signifiant qu’il produit, elle ne peut avoir lieu que s’il y a refoulements, ponctuels et réitérés, d’une telle distanciation. Et il en faut, de la culture, pour que puisse tenir l’affirmation de Barthes selon laquelle il y aurait « nécessité pour l’homme de penser son langage au moment même où il parle ». .. Il en va autrement avec le procès d’écriture : une distanciation y est nécessairement opérée entre le sujet de l’énonciation et le signifiant qu’il produit si bien que le rapport du sujet à son écriture est susceptible d’être, pour lui, une occasion de mettre en œuvre une réflexion sémiotique. Avant même toute réflexion, cette relation est propre à constituer une expérience de la matérialité du signifiant telle qu’elle relève du poétique aussi bien que de l’esthétique. Quant à l’intelligibilité de cette relation, elle est de nature à enrichir la réflexion sur les conditions de possibilité de la reconnaissance et de l’appropriation du signe par le sujet. Elle concerne l’enseignement à partir du moment où il se donne pour tâche de permettre aux apprenants de s’instituer comme auteurs , eux-même inscrits dans le champ social, en leur apprenant à définir et à mesurer leur dimension d’énonciateur et de destinataire. Elle concerne la sémiologie à partir du moment où celle-ci ne se satisfait pas de penser une langue sans sujet et où elle assume un rôle qui reste à investir : celui de prendre en charge l’articulation de la dimension singulière des échanges symboliques et de la dimension collective du langage, et de la faire travailler par les personnes auxquelles nous enseignons, dans leur mise en œuvre même de la langue. Si la dimension collective du langage renvoie à la langue en tant qu’institution structurée par de la norme, de la loi et de la raison, la dimension singulière des échanges symboliques renvoie quant à elle à la part de création et de jeu dont la langue est porteuse, et qui lui permet de donner matière à l’art. Toutefois, limiter aux pratiques d’écriture qui relèvent de la seule littérature la question de la créative, fait courir divers risques qu’une méta-écriture est propre à écarter. Une méta-écriture, autrement dit une écriture rendant raison d’elle-même, permettant de penser les diverses expériences de l’écriture et de rendre compte de la rationalité dans laquelle elles s’inscrivent. La méta-écriture constituerait une raison critique de l’écriture, dans ses trois dimensions : langagière, pulsionnelle et politique.

Mots clés

Keywords: Subject, Learner, Semiotics, Distancing, Writing Mots clés : Sujet, Apprenant, Sémiotique, Distanciation, Ecriture.